jeudi 1 décembre 2011

hommage à ma grand-mère

Il y a beaucoup de petits souvenirs avec Oma. Disséminés tout au long de ma vie. Pleins de petites histoires.


-Oma aimait beaucoup raconter un épisode que nous avons vécues ensembles. Nous sommes parties en vacances en forêt noire. Il semblerait que nous ayons été en période de carnaval. Maman m'aurait préparé un déguisement de princesse, bien emballé dans la valise. Il était évidemment hors de question que je mette une robe de princesse pour cette occasion. Je ne sais plus de quelle facon j'ai pu manifester ce désaccord auprès d'Oma mais nous avons réussi à nous mettre d'accord: je n'ai jamais enfilé la robe. Nous sommes parties à la recherche d'un autre déguisement. Je me souviens être dans la pente devant la maison d'Eva et Günter, en jouant fièrement avec ma cape et mon épée. Oma me disant que toutes les filles étaient jalouses de mon super déguisement. Logique!

-Encore en forêt noire, Oma m'avait inscrite à des cours de ski. J'ai toujours été de nature assez fainéante, "partisane du moindre effort" serait plus juste. Le ski c'est génial en descente, mais marcher jusqu'aux pistes, porter les skis ou pire encore, pousser sur les bâtons et faire des pas de canard sans déchausser… J'ai donc demandé à Oma de me tirer jusqu'au télésiège. Je sais, je suis gonflée. Et elle m'a simplement répondu :"As-tu déjà vu un sportif de haut-niveau se faire tirer par sa grand-mère jusqu'aux pistes?". Je n'ai plus jamais demandé à être tirée jusqu'aux pistes. Question d'amour-propre.

-Après les cours de ski nous prenions un repas sur la terrasse d'un restaurant au bord des pistes. Je prenais souvent (en fait, toujours) des Spätzle au fromage; un mélange étrange de Spätzle avec du fromage fondu, le tout passé au four, ca collait le fond de l'assiette et des fils de fromages se tendaient jusqu'à ma bouche. Très bon, avec du Maggi, très ludique aussi. On profitait des rayons de soleil nous réchauffant la peau, on regardait les gens passer. Je racontais mes exploits en détails.

-Pour l'un de nos séjours en forêt-noire, Oma ne pouvait plus rouler sur une aussi longue distance, elle a alors décidé que nous partirions en Taxi. Je trouvais déjà à l'époque (impossible de me souvenir de mon âge) l'idée géniale. Démesurée, étrange, décalée. Notre chauffeur avait un accent Lorrain à couper au couteau, il parlait le "platt" avec Oma, ils prenaient grand plaisir à discuter les derniers ragôts du village. Je regardais par la fenêtre, du coin de l'oeil, je me souviens aussi des chiffres rouges du compteur, du 3/4 profil de monsieur Monet ou Manet (il portait le nom d'un peintre) et je vois encore la main d'Oma tenant de sa main droite la poignée au dessus de la fenêtre. Elle faisait un mouvement récurrent avec le pouce, comme pour caresser la poignée.

-Quand Oma nous gardait à la maison, on jouait aux cartes. Elle nous a appris à jouer au Romé (je ne sais même pas comment s'épelle ce jeu de cartes). Nous lui donnions une grosse brosse en bois pour qu'elle puisse piquer les cartes entre les poils et jouer avec sa seule main droite. En attendant, ma soeur, trop jeune pour faire du calcul mental et de compter ses points, disparaissait régulièrement sous la table avec son jeu pour faire son décompte. Nous étions une sacrée équipe!

-Oma nous préparait les repas dans la maison de mes parents, tentant de respecter les consignes de Maman. On avait souvent au menu de la viande hachée revenue à la poelle servie avec du riz, il me semble. Oma appelait ca du "Hühnerfutter", trop sec, pas assez gourmand comme plat. Elle rajoutait alors de la crème fraiche.. c'est vrai que ca changeait tout.

-Oma disait qu'elle appréciait particulièrement une chose dans la vieillesse: on a plus besoin de se soucier de la beauté.

-Elle m'a parlé un jour de son canoe bleu (blaues "Kanu"). Ce jour-là j'ai vu Oma pleurer. Elle avait un canoe bleu avant la guerre, elle l'adorait. Après la guerre elle s'est rendue au Ruder-Club le long du fleuve pour voir si son canoe était encore là. Tout était détruit, plus une trace du club, le canoe avait disparu. Et 60 ans plus tard en me racontant cette histoire, Oma a versé une larme.

-Je me souviens du goût des asperges qu'Oma préparait avec des pommes de terre à l'eau lorqu'elle habitait encore Alsting. Nous mangions à l'étage, autour d'une grande table en bois, tous ensembles. Assise sur la chaise, mes pieds ne touchaient pas encore le sol.

-Ou, le jour où elle m'a appris à cuisiner de la Grieß-Suppe, un savant mélange de semoule, d'un jaune d'oeuf, de beurre et de Maggi. Etudiante fauchée en fin de mois, je me faisais de la Gries-Suppe, du baume au coeur, du vrai.

-J'ai toujours adoré quand Oma parlait de Papa, enfant. Tout d'un coup, mon père redevenait un enfant. Pour un court instant, j'ai cru le voir dans ses yeux, qu'il redevenait cet enfant. Car oui, avant d'être lui-même notre père, il a été et est toujours l'enfant d'Oma. Beaucoup de gens pouvaient alors se dire que c'étaient des histoires d'une vieille dame qui ressassait des vieux souvenirs. Chez Oma, ce n'étaient pas uniquement de vieux souvenirs, c'étaient ses meilleurs souvenirs, les plus beaux moments de tendresse, de vie, de joie, de rire, de partage. Et elle a su beaucoup me faire rire avec les histoires de Papa. Je crois aussi qu'elle avait suffisamment d'humour pour vouloir partager ces histoires avec nous.

-J'aimais aussi beaucoup quand elle parlait des histoires de famille. Ce n'étaient pour le coup pas toujours des récits très drôles en soit, mais ils avaient dans ses mots une tournure ironique et il y avait toujours beaucoup de sagesse dans ses propos. Elle avait le mérite de nous en parler, de transmettre ce vécu, je ne sais pas qui aurait pu le faire à sa place. Je lui en suis très reconnaissante.

-Quand elle habitait Benzstraße et qu'on lui a réglé la fermeture automatique des volets de la maison, le système en faisait des siennes. Les volets se fermaient à n'importe quelle heure, se rouvraient à d'autres. Elle pensait que c'était le fantôme d'Opa qui occasionnait ces dysfonctionnements. Quand elle me l'a raconté lors d'une de mes visites chez elle, nous sommes parties dans un fou rire. Elle savait que c'était absurde, mais elle continuait à y croire malgré tout.

-Un jour je débarque chez elle et voit un scooter garé sous son porche. Je lui demande alors a qui il appartient. C'était quelqu'un qui l'entreposait là, à l'abri des intempéries. Ses infirmiers et soignants posaient évidemment la même question que moi. Elle leur répondait que c'était le sien… Là encore, un fou rire.

-Je crois qu'elle mangeait de tout, sauf de la betterave. Ca lui rappellait trop la guerre.

-J'adorais son humour, son autodérision, sa sagesse, sa tendresse. Si Oma n'avait pas été ma grand-mère, elle aurait été mon amie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire